CHAPITRE VI
Au cœur de la taïga

Un an jour pour jour après l’arrestation de Staline, le 23 juillet 1914, Raymond Poincaré achève sa visite à Saint-Pétersbourg. La France, qui a nourri la Russie de ses prêts, a besoin du « rouleau compresseur » de son armée et de ses cosaques contre l’Allemagne. En contrepartie, les Alliés promettront à la Russie par un accord secret, au printemps 1915, de la laisser conquérir Constantinople et accéder ainsi aux détroits des Dardanelles. Le 3 août, la Russie, l’Allemagne, la France, l’Autriche, l’Angleterre sont en guerre. Le 4, le groupe parlementaire social-démocrate allemand unanime vote les crédits de guerre. Les socialistes français font de même.

L’union sacrée patriotique des débuts de la guerre, que l’Église bénit, casse le mouvement de grèves. La Douma est mise en vacance, après avoir voté les crédits militaires et l’augmentation des impôts, le 8 août. En février 1915, elle se réunit durant trois jours, vote les crédits militaires et se disperse sans mot dire. L’Internationale socialiste s’effondre ; ses partis s’alignent presque tous sur leurs gouvernements. Le 28 septembre, Lénine, au nom du Comité central en exil, définit la position des bolcheviks, dite défaitisme révolutionnaire : « On ne saurait dire, du point de vue du prolétariat international, quel est le groupe de nations belligérantes dont la défaite serait le moindre mal pour le socialisme », mais, pour les masses laborieuses de tous les peuples de Russie, « le moindre mal serait la défaite de la monarchie tsariste, le plus réactionnaire et le plus barbare des gouvernements, qui opprime le plus grand nombre de nations et les masses les plus larges de l’Europe et de l’Asie[194] ». Cette analyse, qui définit le gouvernement de chaque pays comme le principal ennemi de son propre peuple, débouche sur la création d’une nouvelle Internationale et la transformation de la guerre en guerre civile. En décembre, Lénine précise que l’on ne peut défendre la Russie qu’en combattant « la monarchie, les grands propriétaires fonciers et les capitalistes de sa patrie, les pires ennemis de notre patrie », et donc qu’« en souhaitant la défaite du tsarisme […] comme un moindre mal pour les neuf dixièmes de la population de la Grande-Russie[195] ». Les députés bolcheviks à la Douma, qui ont voté contre les crédits de guerre, sont aussitôt déchus puis exilés en Sibérie. En juillet 1915, les exilés bolcheviks de la région de Touroukhansk, parmi lesquels se trouve Staline, se rassemblent dans le village perdu de Monastyrskoie pour discuter des positions de Lénine.

On ne sait ce qu’en pense réellement Staline, silencieux au cours de cette réunion comme pendant toute la guerre ; il ne s’exprimera à ce sujet qu’un quart de siècle plus tard, et dans l’intimité. Le 7 novembre 1939, après les festivités anniversaires de la révolution, il déclare devant Dimitrov : « Le slogan de la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile […] n’était valable que pour la Russie […]. Dans les pays européens, il n’était pas valable car les ouvriers avaient reçu de la bourgeoisie certaines réformes démocratiques auxquelles ils étaient attachés et n’étaient pas prêts à se lancer dans la guerre civile (dans la révolution) contre la bourgeoisie. Il fallait aborder d’une autre façon les ouvriers européens[196]. » En 1915 ou 1916, il n’esquisse pas cette analyse critique, mais, vue de Koureika perdue dans la taïga, la perspective de la guerre civile devait lui paraître abstraite, sinon illusoire. Il n’en dit pourtant mot. On lui prêtera plus tard l’initiative d’une lettre aux déportés soutenant la position de Lénine, missive qui « mit fin à leurs doutes et raffermit les hésitants[197] ». Mais personne ne se rappelle ce document, et nul ne l’a retrouvé.

La guerre épuise vite la Russie. Pour fonctionner, le « rouleau compresseur » russe exige une ponction massive sur la main-d’œuvre agricole et industrielle, alors que l’effort de guerre réclame un développement de la production. En quelques mois, les effectifs de l’armée passent de 1,5 million à 10 millions d’hommes, souvent mal armés, mal chaussés, mal équipés et mal nourris. La guerre réduit la Russie à une autarcie forcée qui met à nu les faiblesses profondes de son économie. Les Allemands contrôlent la Baltique, les Turcs, entrant en guerre à leurs côtés à la fin d’octobre, bloquent les détroits. Le réseau ferré, trop lent, ne permet guère d’utiliser les ports de l’Extrême-Orient. Pour répondre aux demandes de Paris, l’armée russe attaque en Prusse-Orientale et en Galicie ; fin août, le corps d’armée de Samsonov est encerclé et anéanti. De juin à septembre, l’armée russe recule et perd la Pologne russe, la Lituanie, une partie de la Lettonie.

Les caprices autocratiques de Nicolas II n’arrangent rien. Le 24 août 1915, il prend la direction du Grand Quartier général à Moghilev, loin de Petrograd (le nouveau nom russifié de Saint-Pétersbourg) et se proclame chef suprême des armées. Au Conseil des ministres, le ministre de la Guerre gémit : « On peut s’attendre à une catastrophe d’un moment à l’autre, au front et à l’arrière. L’armée ne bat pas en retraite, elle court […]. La moindre apparition d’une patrouille allemande et c’est la panique, le sauve-qui-peut de régiments entiers […]. Jusque-là on était sauvés par notre artillerie, mais on n’a plus de munitions. » Que faire ? Le ministre répond : « Je compte sur l’espace, sur la boue et je prie saint Nicolas[198]. » La recette ne sera pas efficace. Et ce tableau de l’armée en 1915 préfigure l’échec du Gouvernement provisoire qui, après février 1917, s’acharnera à poursuivre la guerre.

Staline, submergé par les problèmes financiers et rongé d’ennui, semble loin de ces problèmes. Le 25 novembre 1915, de Koureika, il écrit une lettre mélancolique à la femme de Serge Alliluiev, son logeur de Saint-Pétersbourg. Il lui déclare sa « reconnaissance pour ses bons et purs sentiments » et ses attentions, puis lui demande de ne plus dépenser de l’argent pour lui, mais de lui envoyer « de temps en temps une carte postale avec des scènes de nature et autres. Dans cette maudite région, la nature est d’une pauvreté qui confine à l’horreur : en été le fleuve, en hiver la neige, c’est tout ce que la nature offre ici, et j’ai une nostalgie stupide de scènes de nature, ne serait-ce que sur le papier ». Il conclut néanmoins sur une note d’optimisme : « Je me sens bien. Je suis en pleine santé. Apparemment, je me suis habitué à la nature d’ici. Et pourtant elle est sévère : il y a trois semaines, le thermomètre est tombé à –45[199]. »

La plupart du temps, Staline se terre, chasse, et surtout pêche en solitaire. Il s’attache, dira-t-il, l’estime des habitants du hameau, habitués à rester plantés devant le même endroit de la Koureika, alors que lui se déplace pour trouver le coin le plus poissonneux. Il reste à l’écart de ses camarades et s’installe avec une villageoise dont il aura un fils qu’il ne reverra jamais. Son voisin d’exil, Choumiatski, qu’il placera plus tard à la tête du cinéma soviétique avant de le faire fusiller, souligne sa volonté de rester à l’écart : « Occupé à pêcher et à chasser, il se replia sur lui-même […] il vécut dans une solitude complète […]. Il n’avait pratiquement besoin de voir personne […]. Il se montra avare de remarques lorsqu’il lui arriva d’assister à des réunions organisées par des exilés[200]. » Bien que membre du Comité central, il participe rarement aux réunions politiques organisées par ses pairs et, quand il y assiste, il reste muet. Dans le silence de Koureika, torride ou glacé selon les saisons, les échos du monde extérieur ne lui parviennent qu’assourdis et tardifs. Il vit ainsi près de trois ans et demi dans une somnolence passive. Un jour, un exilé lui passe un manuel d’espéranto. Il en reprend pendant quelques semaines l’étude commencée jadis en prison, puis l’abandonne. Il dévore, en russe, la classique Histoire politique de la Révolution française d’Alphonse Aulard que Sverdlov lui a prêtée. Il lit et annote, dit-on, le Prince de Machiavel.

De temps en temps, il s’en va voir à Monastyrskoie, à quelques centaines de kilomètres de là, son ami Souren Spandarian, élu au Comité central du parti bolchevik en 1912, comme lui membre de son bureau russe puis arrêté et exilé en 1913. Fin février 1915, Spandarian rédige pour Lénine trois lignes annonçant la visite de « Joseph », qui ajoute un bref mot : « Je vis comme avant, je mâche mon pain [autrement dit je mène une existence paisible et monotone], j’ai tiré la moitié de ma peine. On s’ennuie plutôt ici, mais il n’y a rien à faire. […] Chez vous ça doit être un peu plus gai. » Il raille les socialistes chauvins, Guesde, Sembat et Vandervelde, « et leurs glorieux – ah ! ah ! – postes de ministres », l’anarchiste patriote Kropotkine, « vieil imbécile devenu complètement gâteux », et Plekhanov, « une vieille pipelette, une bonne femme incorrigible [sic !] ». Il voudrait bien, de loin, « rosser les liquidateurs » et souhaite la publication prochaine d’un « organe où on leur fouettera le visage comme il convient et sans se lasser[201] ».

Pendant l’été 1916, la tuberculose emporte Spandarian à l’âge de 34 ans. Koba, désormais seul, fréquente quelques paysans avec qui, de temps à autre, il assèche une bouteille de vodka. En janvier 1947, il répondra à la lettre de l’un d’eux lui demandant de l’aide : « Je ne vous ai pas encore oublié, vous et les amis de Touroukhansk[202] », et sur son traitement de député au Soviet suprême il lui enverra 6 000 roubles. De loin, Lénine s’intéresse à lui. En juillet 1915, il demande à Zinoviev : « Ne vous rappelez-vous pas le nom de famille de Koba[203] ? » En novembre, il demande à un correspondant : « Un grand service : trouvez le nom de famille de Koba (Joseph Dj… ? ?) ; nous avons oublié. Très important[204] !!! » Pourquoi ? Lénine ne l’explique pas. En 1916, les munitions commencent à manquer à l’armée russe : la production de fusils et de cartouches est de plus de huit fois inférieure aux besoins. Les soldats partent parfois à l’assaut avec un fusil pour quatre. En revanche, la planche à billets fonctionne : de janvier 1914 à janvier 1917, la circulation d’argent liquide est quintuplée. D’août 1914 à mars 1917, les dépenses de guerre, dont le quart est couvert par des emprunts à l’étranger, font passer la dette de l’État de 8,5 milliards de roubles à 33,5 milliards. Le ministre des Finances pleure sur « l’entière dépendance accablante vis-à-vis des Alliés ». La guerre accule ainsi la Russie à la sujétion financière et à la stagnation économique. Dès octobre 1915, le monarchiste Maklakov compare la Russie à une automobile conduite à la catastrophe inéluctable par son chauffeur (Nicolas II), qui transporte sa mère (la Russie) et que les passagers harcèlent de conseils respectueux tout en lui laissant le volant.

Nicolas II reçoit à Moghilev une pluie de lettres de l’impératrice lui transmettant les conseils de l’« Ami » Raspoutine et tonnant sa « hâte de montrer à tous ces poltrons (de la Douma) sa culotte immortelle[205] ». La rotation des ministres donne l’impression que le pouvoir est à la dérive. Les origines germaniques de l’impératrice (ex-duchesse de Hesse), le rôle occulte et tapageur à la fois de Raspoutine, accusé d’espionnage pour le compte de l’Allemagne, avivent la crise. En janvier 1916, Nicolas II nomme Premier ministre, puis ministre des Affaires étrangères, un vieux membre du Conseil d’Empire, Stürmer, dont le nom à consonance germanique suscite les rumeurs ; l’espionnite ravage alors la Cour et les milieux politiques, affolés par les revers de l’armée et par la crise du régime, confrontés à la révolte des nationalités, rampante à l’Ouest (Polonais et Ukrainiens) et brutale en Asie centrale. Un décret du 25 juin 1916 mobilise Kirghizes, Kazakhs et Ouzbeks, jusque-là tenus à l’écart de l’armée. Mais ils refusent en masse de partir sous les drapeaux et leur révolte ravage le Turkestan et la Kirghizie en juillet et août. Le régime chancelle.

Lors de la séance d’ouverture de la Douma, le 1er novembre 1916, le modéré Milioukov dénonce le gouvernement et l’entourage de l’empereur, et s’interroge : « Sottise ou trahison ? » L’exclamation fait le tour de la capitale. Le tsar remplace Stürmer par Trepov, qui tiendra deux mois : « On n’avait pas d’idée où nous allions, dira le monarchiste Maklakov ; on avançait les yeux fermés, machinalement[206]. » Quelques comploteurs monarchistes croient freiner la marche à l’abîme du régime en assassinant Raspoutine, empoisonné et achevé à coups de revolver chez lui le 16 décembre. La Cour interdit toute enquête sur ses aristocratiques meurtriers.

Staline, ne prenant plus part à aucune réunion d’exilés, ne devine rien du séisme qui s’annonce. Henri Barbusse évoque avec lyrisme son activité littéraire : « Toute la journée il pêchait et chassait, coupait du bois pour se chauffer, faisait sa cuisine. Toute la journée… et pourtant, sur la table grossière de l’isba, sous l’œil inquisiteur et stupide du garde spécial chargé de veiller sur la fixité du proscrit, s’entassaient des pages et des pages écrites sur tous les grands problèmes[207]. » Le garde spécial permanent est inventé et les pages ne s’entassent que dans l’imagination, pour une fois fertile, de Barbusse. Le tome II des Œuvres complètes de Staline, qui s’étend jusqu’au 8 mars 1917, s’achève sur un texte daté de février 1913, et le tome III s’ouvre sur un texte daté du 14 mars 1917. Sa chronologie signale cinq lettres : celle du 27 février 1915, citée ci-dessus ; une du 10 novembre à Lénine et à Kroupskaia ; une autre du 5 février 1916 au centre du Parti à l’étranger sur la question nationale ; une autre encore du 25 février, s’inquiétant du sort de son article sur ce sujet ; et enfin une dernière, écrite avec Spandarian le 12 mars 1916, pour la revue Questions d’assurance. Cinq lettres en quatre ans, on ne saurait parler d’une activité intellectuelle débridée.

En 1939, Rosa Schweitzer, la veuve de Souren Spandarian, dans une brochure sur Staline à Touroukhansk, affirme qu’il traduisit un ouvrage de Rosa Luxemburg. L’invention maladroite qui le réduit au rôle de traducteur fera long feu ; Staline haïssait la dirigeante de la gauche social-démocrate allemande et ne connaissait que quelques dizaines de mots d’allemand. En fait, pendant plus de trois ans, il hiberne comme une marmotte. Sa passivité, inhabituelle pour un révolutionnaire, et surtout pour un dirigeant, ne lui est pas seulement inspirée par le paysage monotone d’une taïga immuable, elle exprime une attitude devant les événements : il attend. Il n’est pas homme à prendre l’initiative et à tenter de forcer le cours des choses. Nul n’est plus éloigné que lui de la devise de Napoléon : « On s’engage et puis on voit », que Lénine reprendra à son compte. En dehors des intrigues d’appareil, il préfère attendre que les autres prennent l’initiative.

Peu apte à se dégager de sa condition de l’heure et de son environnement, non plus qu’à déceler dans le présent les lignes de l’avenir, il ne perçoit pas les craquements de l’Empire et attend, il ne sait quoi. Le 14 décembre 1916, la monotonie de son existence est soudain rompue. L’administration rassemble une vingtaine d’exilés de la région, dont lui, et les envoie à Krasnoïarsk devant le conseil de révision. L’état-major a un besoin urgent de soldats. Le conseil de révision réforme pourtant Staline pour malformation du bras gauche. Ce rejet suscite chez lui une vive aversion pour les officiers tsaristes. Il l’embellira en racontant aux Alliluiev qu’il a été écarté en tant qu’« élément indésirable ». Ce mobile imaginaire lui paraîtra plus tard insuffisant. Sa biographie officielle affirme en effet : « Mobilisé dans l’armée, en décembre 1916, Staline est envoyé sous escorte à Krasnoïarsk puis à Atchinsk. » Le maréchal de 1946 ne peut accepter sa réforme de 1916. Au début de 1914, le conseil de révision de Salzbourg avait déclaré le gringalet Adolf Hitler « inapte au combat pour cause de débilité physique » et « inapte au port d’armes[208] ». Il s’était rattrapé en s’engageant dès le début de la guerre dans l’armée allemande. Mais il était aussi favorable à cette guerre que Staline y était hostile…

Le 27 décembre, Nicolas II remplace Trepov par le prince Golitsyne, qui lui déclare se sentir totalement incapable d’assurer cette charge. Nicolas II le confirme pourtant à la tête du gouvernement. La situation de la Russie est dramatique. Dans une lettre à sa femme du 20 septembre, Nicolas II a écrit avec inquiétude : « Les prix grimpent partout et le peuple commence à avoir faim. » Mais que faire ? « Je ne comprends absolument rien, dit-il, à ces questions d’alimentation et de ravitaillement[209]. » À la fin de novembre 1916, le gouvernement a introduit un système de distribution autoritaire du pain, attribué en priorité absolue à l’armée et aux ouvriers des industries de guerre ; l’alimentation de la population urbaine a été confiée aux autorités locales.

Lorsque s’ouvre l’année 1917, le bilan de la guerre est accablant : en trois ans, près de 15 millions d’hommes ont été retirés de la production pour partir sous les drapeaux ; 1,5 million ont trouvé la mort, 2 millions ont été blessés et mutilés, et près de 3 millions faits prisonniers. L’inutilité de cette saignée frappe les esprits. Au début de 1917, les cartes de ravitaillement, introduites dès le début de 1916 dans certaines localités, se généralisent dans les grandes villes, et la crainte de manquer de pain gagne la population. L’engorgement des transports est à l’origine des premières ruptures d’approvisionnement. Les bruits de fermetures d’usines par manque de combustible et de matières premières agitent les ouvriers de la capitale. Une lente paralysie gagne toutes les institutions.

La crise politique atteint même la lointaine administration sibérienne : cette dernière, en effet, ne renvoie pas le réformé Staline à Kostino et l’autorise à rester dans la région de Krasnoïarsk, à Atchinsk exactement, la gare du Transsibérien, où se trouve toute une colonie d’exilés, dont son vieil ami Kamenev, exilé en 1914 au procès des députés bolcheviks. Ce dernier y est installé avec sa femme, Olga, la sœur cadette de Trotsky. Plus tard, il les fera fusiller tous les deux. En attendant, il passe ses soirées chez eux à fumer sa pipe, bourrée, selon le témoin Baikalov, d’un gros tabac fort à tuer les mouches et les chevaux, la makhorka, le tabac du moujik. Baikalov évoque, avec une antipathie manifeste, ce « visage ravagé de petite vérole, le front bas, surmonté d’épais cheveux ébouriffés, la bouche fermée d’une moustache sale. Ses petits yeux brun sombre, rapporte-t-il, presque noirs, regardaient alentour, avec une expression maussade sous des sourcils épais[210] ». Il souligne la pauvreté de son vocabulaire, son fort accent géorgien, son hésitation à choisir le mot russe juste. Lorsque Kamenev l’interrompt, parfois, d’une phrase ironique, Staline se renfrogne en tirant rageusement sur sa pipe. S’il est certain que Kamenev manifeste autant d’aisance dans le discours que Staline a l’élocution lente et embarrassée, ce témoignage est néanmoins trop manifestement hostile pour être pris au pied de la lettre.

Staline est à la veille d’entrer dans l’histoire. Il n’en sait rien, pas plus que Lénine qui, lors d’une conférence à Zurich, le 9 janvier 1917, annonce, certes, que « l’Europe est grosse d’une révolution », mais en prévoit l’accouchement dans un futur lointain : « Nous, les vieux, nous ne verrons peut-être pas les luttes décisives de la révolution imminente[211]. » Six semaines plus tard, le tsarisme s’effondre.

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